Combattre Zemmour

J’hésite depuis un certain temps à évoquer ici les idées d’Éric Zemmour très largement relayées par les médias complaisants. Au-delà de l’accablement que constitue cette nouvelle candidature d’extrême droite à l’élection présidentielle, celle-ci nous oblige à parler fort et juste.

Je partage donc ci-dessous le texte de la tribune du philosophe Adbennour Bidar, publiée dans Le Monde le 8 décembre 2021. Il nous invite avec des mots juste et fort "à sortir de l’impuissance, à agir et à rassembler contre ce qui menace la démocratie : la tentation de la haine".

Vous êtes, Eric Zemmour, l’exutoire de nos mauvaises pensées, de notre impuissance 

La candidature d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle est une mauvaise nouvelle pour notre pays. Elle pourrait seulement nous accabler, nous tous qui tenons à une France fraternelle, mais en réalité elle nous convoque. Elle fait devoir à tous les humanistes et tous les démocrates de notre pays de se lever et de se rassembler contre ce qui menace là, je veux dire la tentation de la haine.

Non, Eric Zemmour n’est pas « un candidat comme un autre », il est la trahison de tous nos idéaux fondateurs autant qu’une injure à la France d’aujourd’hui. La trahison de notre vocation de pays d’accueil, non pas de toute la misère du monde mais de toutes celles et ceux qui sont venus vers nous parce qu’ils ont fui la guerre, les massacres, la misère économique, et auxquels notre destin, notre grandeur ont toujours été d’ouvrir les bras pour les accueillir dans notre peuple qui, je le rappelle, n’a jamais été un peuple de sang mais toujours un peuple de valeurs partagées, ce peuple universel de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.

Notre peuple d’aujourd’hui, si multiculturel, si multiethnique, ne signe pas ainsi, monsieur Zemmour, la mort de la France mais tout au contraire un nouvel accomplissement de son destin à réunir des femmes et des hommes de toutes origines, couleurs, religions dans la fraternité des mêmes droits et devoirs. Et si nous n’y réussissons pas, s’il y a en France aujourd’hui tant de violences, de désordres, d’insécurités, ce n’est pas qu’il y a trop d’étrangers ou de musulmans, c’est que nous, Français, ne sommes plus à la hauteur de nous-mêmes ! C’est que nous, Français, ne savons ou ne voulons pas voir toutes et tous nos concitoyens musulmans qui font chaque jour la preuve d’une parfaite participation à notre vie nationale sans renier leur islam mais en démontrant par cet exemple que non, islam n’est pas islamisme ! C’est que nous, Français, ne savons plus faire de la promesse républicaine le bénéfice de toutes et de tous, sans privilèges ni discriminations ! C’est que nous, Français, ne savons plus transmettre nos valeurs ni faire d’elles une réalité vivante, sensible par toutes et tous comme un bien commun tangible, concret, qui fait aimer la France ! C’est que nous, Français, ne savons plus vaincre la pauvreté, le déclassement, ni la perte d’identité ou encore la séduction exercée par l’idéologie islamiste, parce que nous ne sommes plus du tout assez forts, assez dotés de puissance vitale et d’énergie spirituelle !

Épouvantail médiatique

Voilà notre mal, je dis bien notre mal. Si nous n’étions pas si fatigués, désenchantés, désillusionnés, vous n’existeriez pas. Si, à l’inverse, nous étions capables de nourrir en notre pays, la France, la confiance que nos ancêtres nourrissaient en elle lors de toutes nos illustres périodes, la confiance que nourrissait en elle le général de Gaulle alors même qu’elle était vaincue, qu’il était seul et que tout semblait perdu, vous n’existeriez pas.

Vous êtes ainsi, monsieur, l’expression non pas de la France mais de notre manquement à sa puissance, de notre faillite à hériter de sa grandeur. Vous êtes, monsieur, non pas son orgueil mais sa vanité. Vous êtes, monsieur, ce que les philosophes nomment la conscience malheureuse, l’exutoire de nos idées noires, de nos mauvaises pensées, de notre impuissance.

En ce sens-là, votre candidature, monsieur, et je le dis sans être Zola, nous accuse tous ! Vous jouerez donc, je n’en doute pas, jusqu’au bout votre rôle d’épouvantail médiatique et politique trimballé comme cache-misère de cette impuissance de nos sombres humeurs et de nos indigentes politiques… Et, bien sûr, à la fin vous ne gagnerez pas. Mais ce ne sera pas là non plus une bonne nouvelle pour nous tous, si nous n’avons pas compris par votre triste aventure ce qui nous menace réellement et ce qui nous appelle réellement à nous relever : non pas, une fois de plus, l’immigration ou le sentiment de ne « plus être chez soi », mais notre propre incapacité désormais à exprimer le génie de la France, sa générosité, sa tolérance, et, par-dessus tout, cet esprit qui dit non : non à la haine de l’autre, non à la séparation sociale entre riches et pauvres, non à toutes les forces qui divisent aujourd’hui le monde humain, non à tous ceux qui dressent les gens les uns contre les autres jusqu’au chaos. Or, vous faites partie, monsieur, de ces malins, méchants et dangereux diviseurs, et pour cela non seulement je ne vous salue pas mais je récuse votre droit à parler au nom de la France.

Abdennour Bidar est philosophe. Spécialiste des religions et de la laïcité, il a notamment écrit « Génie de la France. Le véritable sens de la laïcité » (Albin Michel, 208 p., 19 €).

 

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