“un pueblo unido jamás será vencido” ?

C’est l’un des faits marquant qui m'a fait prendre conscience que mon chemin se situait résolument à Gauche, du côté des libertés et de la justice sociale. Cinquante ans après le 11 septembre 1973, le coup d’Etat fomenté par l’armée chilienne, avec le soutien de la CIA et de la multinationale ITT, et le martyre de Salvador Allende résonne encore et interpelle sur l’évolution du monde.

L’intervention directe d’une puissance impérialiste pour subvertir un processus démocratique, la brutalité du putsch lui-même et la férocité de la répression qui s’ensuivit furent des marqueurs de cet événement. Aujourd’hui, même si l’actualité africaine montre que les méthodes anciennes de prise de contrôle des institutions par l’armée n’ont pas disparu, les moyens employés par les Etats-Unis pour renverser le régime d’Unité Populaire chilien apparaissent singulièrement archaïques, la manipulation des réseaux sociaux, la diffusion d’infox, les stratégies d’influence, les rumeurs complotistes, permettent de retourner une opinion malléable pour orienter une politique par des voies conservant les apparences formelles de la démocratie, même si elles n’émanent pas nécessairement d’une puissance étatique.

Le coup d’Etat du 11 septembre 1973 a eu des répercussions nombreuses, notamment en Europe, sur les orientations et les stratégies des forces de gauche, qui étaient à cette époque en phase ascensionnelle vers le pouvoir dans plusieurs pays. La présence de nombreux réfugiés chiliens d’obédiences politiques diverses, en France en particulier, a également contribué à nourrir les débats. Les conditions pour résister aux pressions impérialistes, le rôle de l’armée et ses rapports avec la société civile, réforme et révolution, le rythme et l’acceptabilité sociale des changements, légalité et démocratie – toutes ces questions revenaient presque en boucle dans les débats des gauches accompagnant l’organisation de la solidarité, au Chili même et à l’extérieur, avec les victimes de la répression.

Huit mois plus tard, la "révolution des œillets" au Portugal, en 1974, colorait d’une autre manière la question du rôle de l’armée et donnait une traduction concrète et proche aux discussions sur radicalité et acceptabilité sociale des réformes.

Cinquante ans après, aucune de ces questions n’est épuisée, pas même au Chili. Si, après tant d’années, la condamnation définitive par la Cour suprême chilienne des militaires bourreaux et assassins du chanteur Victor Jara – ils lui avaient méthodiquement écrasé les doigts pour qu’il ne puisse plus jouer de la guitare – vient comme une réparation tardive mais une réparation quand même, il reste qu’à la dernière élection présidentielle un candidat de la droite extrême, se réclamant ouvertement de Pinochet, a obtenu 44% des suffrages.

Si le président de gauche Gabriel Boric a pu faire adopter par référendum le principe d’une révision de la Constitution héritée de Pinochet et fortement marquée, notamment en matière économique et sociale, par la doctrine des Chicago boys, ces intégristes du libéralisme monétariste, la première version de nouvelle Constitution, en septembre 2022, a été repoussée par 62% des suffrages exprimés. La première assemblée constituante, largement composée en dehors des formations politiques classiques, avait clairement mésestimé l’ampleur des changements qu’une majorité de la société était prête à accepter. Et par contrecoup, la nouvelle assemblée constituante, qui doit soumettre un nouveau projet à référendum avant la fin de l’année 2023, est nettement plus orientée à droite…

Ce que nous devons à la mémoire de Salvador Allende, de Victor Jara et de tant d’autres militants de l’Unité Populaire victimes du coup d’Etat, c’est à la fois de se souvenir du sens de leur combat : la justice sociale, la souveraineté populaire, la liberté, et de ne pas perdre de vue les causes de leur défaite – qui ne tiennent pas uniquement à l’implication des États-Unis. Le groupe musical Quilapayun avait lancé en 1973, quelque temps avant le coup d’Etat, une chanson en soutien à Allende dont le refrain, que nous avons repris dans tant de meetings, était : "un pueblo unido jamás será vencido", un peuple uni ne sera jamais vaincu. Un peuple uni, telle est en effet la question.

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