"Maires en colère" ? Beaucoup de disparités et de cynisme !

Comme chaque année, juste après l’arrivée du Beaujolais, le Congrès de l’Association des Maires de France (largement financé par de multiples groupes du BTP ; de la restauration et des cabinets de "conseils" en tout genre) vient de nous rejouer, cette semaine, sa petite musique, avec la même couleur et sans saveur.

Oui, l’Etat étrangle financièrement les collectivités locales (notamment les communes) et impose de plus en plus de normes, sans annuler de multiples règles obsolètes, que de toute façon les services préfectoraux dépeuplés n’ont plus les moyens de contrôler [1]

Oui, dans notre démocratie bien mal en point, les tensions montent et les élus dans toutes les communes doivent faire face à de nombreuses agressions, surtout écrites sur les réseaux sociaux, mais aussi verbales ou parfois physiques lors des contacts directs avec la population.

Sondages payés à l’appui, les maires sont plébiscités comme étant "proches et à l’écoute des gens", "les derniers recours" et le maillon essentiel de la démocratie qu’il faut A TOUT PRIX sauvegarder et renforcer.

Et alors s'enchaîne la petite ritournelle visant "à mieux protéger" ces élu-e-s, pour éviter "une crise de vocation" lors des prochaines élections municipales. En partant d’un légitime durcissement de la réponse pénale suite aux agressions, on arrive très vite à bifurquer sur l’indispensable revalorisation des indemnités des maires et la nécessaire remise en cause de la loi limitant le cumul des mandats.

34 955 MAIRES !

On ne peut pas parler sérieusement de la situation des maires sans distinguer les très grandes différences qui existent selon la taille des 34 955 communes. Plus de 18 000 d’entre elles comptent moins de 500 habitants, alors qu'elles sont à peine 2 500 à compter plus de 5 000 habitants. Les indemnités des maires, les avantages en nature (véhicule, frais de représentation…), le nombre de collaborateurs et l’importance de l’administration communale sont proportionnels au nombre d’habitants dans chaque commune. Les situations ne sont donc absolument pas comparables. Si un effort doit être fait, il doit en priorité s’effectuer auprès de ces milliers de petites communes où le maire est, bien souvent, en même temps, presque 24h sur 24, secrétaire de mairie, agent d’entretien et assure parfois l’accueil de ses administrés à son domicile.

Concernant les indemnités des maires, depuis le renforcement des intercommunalités en 2001, en pratique, un grand nombre d'entre eux se retrouve aujourd’hui Président ou Vice-président d’une structure intercommunale, avec à l’appui une indemnité spécifique. En résumé, avec moins de responsabilité directe au sein de sa commune (compétences transférées aux métropoles, agglomérations et communautés de communes) les indemnités ainsi cumulées par les maires sont largement supérieures à ce qu’elles étaient quand la commune gérait tout. Et là encore les disparités sont de plus en plus grandes selon les tailles des collectivités.

Si de nombreux maires démissionnent en cours de mandat, il y a effectivement parfois un ras-le-bol lié aux difficultés de la tâche et aux tensions générées. Mais il y a aussi un nombre important de démissions qui sont dues à des affaires de corruptions (les règles concernant les marchés publics ne cessent d’être "assouplies" depuis 20 ans [2]), et "aux passages de témoin" en cours de mandat pour permettre à l’héritier désigné de s’installer pour aborder la prochaine échéance.

L’AMF, comme le ministère de l’intérieur, ne tiennent aucune statistique fiable sur le nombre de démissions des adjoints ou des conseillers municipaux. A droite, comme à gauche, les conseils municipaux n’ont pas un fonctionnement démocratique. Les minces droits des groupes d’opposition sont rarement respectés. Les importantes délégations de pouvoirs attribuées au maire (et de facto à des cabinets pléthoriques et technocratiques dans les grandes villes) font, de la plupart des séances des conseils municipaux, de simples chambres d’enregistrement de décisions déjà prises ailleurs. Si un adjoint de la majorité municipale émet des réserves, il verra bien souvent son poste remis en cause, avec l’indemnité qui va avec. Si un élu de l’opposition (la plupart du temps non indemnisé) conteste, on ne lui répondra même pas. Et s’il effectue un recours gracieux auprès du préfet, celui-ci, faute d’agents suffisants pour effectuer les contrôles de légalité, lui conseillera au mieux de saisir le Tribunal Administratif, déjà très encombré. Le cynisme est à son comble, quand un élu n’obtient pas communication d’un document lié à la gestion d’une collectivité locale. S’il peut effectivement saisir la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs), celle-ci lui fera parvenir, au mieux quelques mois après, un avis favorable pour que le document demandé soit transmis. Mais cet avis n’impose aucune obligation à la collectivité récalcitrante. Le dernier recours étant une nouvelle fois le tribunal administratif.

A travers ces quelques exemples, loin d’être exhaustifs, on distingue mieux le délitement continu des fonctions représentatives. Il y aura toujours beaucoup de candidats pour exercer les fonctions exécutives de maire dans la plupart des communes de tailles respectables. Par contre, il semble que de moins en moins de citoyens seront candidats pour faire de la figuration dans les conseils municipaux, sauf à ne servir à rien, et même en contrepartie d’un titre, d’une petite indemnité ou de petites considérations octroyées par le notable local et son entourage.

Quant aux citoyens, dans la plupart des cas, la concertation se résume en simple information sur des décisions déjà prises sans eux. Les instances dites de "démocratie participative" sont souvent limitées à la participation de quelques initiés, souvent complaisants et inféodés. Les instances de représentation des usagers des services publics n’ont qu’un rôle très passif pour acter la présentation de bilan d’activités. Les outils de communication des collectivités sont progressivement devenus des moyens de propagande personnalisé des maires, bien ciblés en direction des différentes clientèles qui votent (exit les populations d’origines étrangères et des quartiers populaires).

OUI, il est temps de revivifier la démocratie locale. Mais cela passe d’abord par une transformation complète du fonctionnement des instances communales et intercommunales et l’instauration d’un véritable pouvoir de contrôle pour TOUS les citoyens.

La commune doit être confortée comme structure de base réelle de la démocratie. Elle doit être le lieu d’espaces organisés et utiles de débats publics, d’expressions pluralistes et de délibérations transparentes et collectives. La confiscation du pouvoir par de nombreux notables cumulards doit cesser. Ils expliquent régulièrement que tout est bien trop complexe pour les citoyens. Ils se complaisent dans des consensus mous (et souvent coûteux) au sein de structures intercommunales, de sociétés d’économie mixte ou des sociétés publiques locales, à la gestion très opaque et totalement éloignées des citoyens. La création d’un véritable statut des élus sur lequel semble s’accorder les grands barons locaux de l’AMF (issus des combinaisons entre les partis du système) et la macronie, n’a de sens que si le mandat de chacun des élus s’exerce dans un cadre beaucoup plus démocratique et collégial, avec la participation et sous le contrôle des citoyens. Le fléau hyper présidentialiste de la Ve République agonisante est tout aussi dévastateur localement pour l’intérêt général et le bien commun. Certes des évolutions permettant d’améliorer un peu la formation des élus et de dégager des crédits d’heures pour ceux qui exercent encore une activité salarié, ne sont pas à négliger. Mais si l’on se contente d’augmenter les indemnités des maires et d'abroger la loi limitant le cumul des mandats, sans transformer le fonctionnement des collectivités, on risque au contraire d’accroitre les fractures civiques, de raviver les incompréhensions, d’exacerber les tensions… et de ne pas faire diminuer les agressions.

VITE, bousculons le confort d’une petite caste de notables qui s'arrogent la parole des maires, à travers de petits arrangements transpartisans au sein de l'AMF. Transformons et multiplions les instances locales d’échanges, de médiations, de débats et de décisions. Partageons enfin les pouvoirs entre TOUS les élus. Instaurons les référendums d’initiative citoyenne et le droit de révocation des élus en cours de mandat.

[1] Récent rapport de la Cour de comptes - https://www.ccomptes.fr/fr/publications/controle-de-legalite-et-controle-des-actes-budgetaires-en-prefecture

[2] https://www.anticor.org/2022/04/04/pour-un-meilleur-controle-des-conditions-dacces-aux-marches-publics/

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